Ces dernières années, l’art-thérapie gagne en popularité. Ainsi, les musées sont de plus en plus nombreux à offrir des ateliers d’art-thérapie. On n’a qu’à penser au Musée des beaux-arts de Montréal, qui offre divers programmes d’art-thérapie pour briser l’isolement des jeunes et des moins jeunes et développer chez eux un sentiment d’appartenance à leur communauté. On y aborde des sujets sensibles comme le suicide, les troubles alimentaires, la migration existentielle, les troubles langagiers. L’art-thérapie aurait donc des effets thérapeutiques. Il n’est donc pas surprenant que l’art soit parfois utilisé chez des professionnels de la santé, comme les psychologues et les ergothérapeutes.
Bien qu’encore marginale, la profession d’art-thérapeute existe bel et bien! L’Association des art-thérapeutes du Québec (AATQ) milite depuis près d’une dizaine d’années, sans succès pour le moment, pour que les art-thérapeutes soient reconnus à titre de psychothérapeutes (source). Les seules universités québécoises offrant une maîtrise en art-thérapie (Concordia et Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)) songent à modifier leurs programmes pour qu’ils puissent éventuellement répondre aux exigences de l’Ordre des psychologues du Québec pour l’obtention du permis de psychothérapeute.
Qu’est-ce que l’art-thérapie?
«L'art-thérapie se définit comme une démarche d'accompagnement psychologique d'une personne ou d'un groupe en difficulté, centrée sur l'expression de soi, de ses pensées, de ses émotions et ses conflits dans un processus de création d'images. La spécificité de l'art-thérapie s'exprime dans l'utilisation des médias plastiques visant la compréhension et la résolution de problèmes, le soulagement de l'angoisse et de la souffrance psychologique et physique ou simplement l'évolution et le mieux-être psychologique de la personne ou du groupe.» - UQAT (source)
Entrevue avec une conseillère d’orientation passionnée par l’art-thérapie
Pour en connaître davantage sur l’art-thérapie, je me suis entretenu avec Marie-Ève Morin, une conseillère d’orientation qui s’intéresse de près à ce domaine d’expertise depuis quelques années déjà. Elle cumule près de 10 ans d’expérience en employabilité et en orientation professionnelle.
Marie-Ève s’est spécialisée au fil des années auprès des jeunes adultes éloignés du marché de l’emploi. Elle a notamment animé les ateliers «Je vaux de l’art» – ateliers qu’elle a développés – au CJE de Sherbrooke.
Détentrice du microprogramme de 2e cycle en art-thérapie de l’UQAT, Marie-Ève entreprend actuellement un certificat universitaire en art visuel pour pouvoir être admise à la maîtrise en art-thérapie. Elle souhaite devenir art-thérapeute tout en demeurant conseillère d’orientation. Elle souhaite ainsi parfaire ses compétences et ainsi intégrer ce domaine d’expertise dans sa pratique professionnelle.
Pourquoi vouloir se former en art-thérapie?
D’entrée de jeu, Marie-Ève m’explique que l’art a toujours fait partie de sa vie, qu’il s’agit pour elle d’une façon de vivre et d’extérioriser ce qu’elle vit intérieurement. Plus jeune lors de son premier choix de carrière, bien avant d’apprendre l’existence de l’art-thérapie, elle a longuement hésité entre une profession en art et une profession en relation d’aide.
«À cette époque-là, j'ai en quelque sorte repoussé l'idée de m'orienter dans une profession artistique. J'ai choisi la profession en relation d'aide parce que c'était vraiment au coeur de ce que je voulais faire. Aider les autres, ça primait sur le côté art-visuel. Je n'avais pas encore concilié les deux aspects.» -Marie-Ève Morin, conseillère d'orientation
C’est au cours de sa formation en orientation professionnelle que Marie-Ève découvre la profession d’art-thérapeute. Elle se dit alors que cette profession lui collerait à la peau. Elle décide malgré tout de terminer sa formation en orientation avant de se lancer dans une formation en art-thérapie.
Les avantages de l’art-thérapie en orientation professionnelle auprès des jeunes adultes
Au cours de ses années à intervenir auprès de jeunes adultes éloignés du marché du travail – des jeunes souvent aux prises avec une faible estime de soi, des troubles de santé mentale ou vivant des conditions de vie très difficiles – Marie-Ève souhaite trouver une manière d’aider ces jeunes à explorer et nommer leurs expériences, leurs besoins et ce qu’ils vivent émotionnellement.
Entrer en contact avec soi et en partager l’essence à une personne en situation d’autorité, voilà qui peut être assez exigeant et déstabilisant pour des jeunes souvent en marge du système ou méfiants envers celui-ci. Selon Marie-Ève, l’utilisation de l’art devient alors un médium pertinent pour faire tomber ces barrières et ainsi faciliter l’exploration et l’expression de soi des jeunes adultes.
La spontanéité de l’art permet de révéler des parties de soi, parfois cachées, inconscientes, et d’y extirper des symboles très forts enfouis en soi.
«J'intervenais auprès d'une jeune adulte et je n'arrivais pas à avoir accès à son vécu. Je lui ai donc demandé de piger une figurine et elle a choisi une araignée. C'est à partir de ce moment qu'elle a pu me nommer qu'elle se sentait comme si elle était prise dans une toile d'araignée.» -Marie-Ève, conseillère d'orientation
L’art permet ainsi aux jeunes adultes d’entrer en relation avec un intermédiaire visuel et symbolique qui part et parle directement de soi. Le monde intérieur se révèle, prend forme et devient donc «plus concret». C’est pour cette raison que les figurines, notamment par l’exercice du «jeu de sable», sont souvent utilisées en art-thérapie. Marie-Ève explique que l’utilisation des figurines lors de groupes d’intervention permet aussi aux jeunes adultes à apprendre à mieux se connaître et à tisser, voire même réparer, des liens entre eux.
Dans la pratique de l’orientation professionnelle, explique Marie-Ève, l’intervention porte surtout sur la cognition : faire des listes d’intérêts, de valeurs et d’aptitudes; trouver, lire et classer de l’information; réaliser des tests psychométriques; parler de soi à travers la réflexion… L’art devient alors un autre moyen, plus instinctif que rationnel, pour aider les jeunes à mieux se connaître et à faire un choix de carrière plus proche de qui ils sont.
Quels sont les risques de l’art-thérapie?
Même si à première vue l’usage de l’art semble anodin en intervention, ce n’est pourtant pas des interventions à prendre à la légère, explique Marie-Ève. D’ailleurs, si elle utilise l’art en intervention, elle ne mobilise aucunement l’art-thérapie pour le moment. Elle attend d’avoir terminé sa formation en art-thérapie avant d’appliquer des interventions qui découlent directement de ce domaine d’expertise.
Par ailleurs, avant d’appliquer une nouvelle intervention mobilisant l’art dans sa pratique professionnelle, Marie-Ève demande chaque fois conseil aux professeurs et chargés de cours qui lui enseignent l’art-thérapie à l’UQAT.
Mais pourquoi une si grande prudence?
Étant donné que l’art-thérapie permet de révéler certaines parts de l’inconscient, c’est un peu comme marcher sur un champ de mines, surtout lorsqu’on intervient auprès de personnes susceptibles d’avoir subi des traumatismes dans l’enfance.
L’importance des matériaux utilisés
L’art-thérapeute formé et compétent connaît l’influence que peuvent avoir les divers matériaux artistiques sur l’état psychologique et émotionnel des personnes aidées. Il s’agit d’une spécificité de la formation en art-thérapie. En fonction de la vulnérabilité de la personne et des objectifs poursuivis, il serait très important de faire un choix réfléchi quant aux types de matériaux utilisés.
À titre d’exemple, un médium «fluide», comme l’argile, comparativement à un médium «sec», comme le crayon pastel, peut prédisposer davantage la personne aidée à une connexion plus intense avec son monde émotionnel et pourrait donc être moins approprié auprès de certaines personnes. Ainsi, le médium choisi par l’art-thérapeute est loin d’être anodin.
Autre exemple; le simple fait de fournir une petite ou une grande feuille oriente déjà ce que risque de ressentir émotionnellement la personne aidée. Plus la feuille est petite, plus le cadre de l’activité thérapeutique est sécurisant et sécuritaire. Ainsi, les risques de débordements émotionnels sont davantage restreints. L’ajout d’un ruban adhésif tout autour de la feuille serait un autre moyen pour sécuriser encore plus l’expérience thérapeutique.
Je tiens à remercier Marie-Ève Morin de m’avoir offert du temps pour réaliser cette entrevue.
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