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La dyspraxie au travail : un témoignage inspirant

Une femme assise au sol, une balle bleue dans la main, joue avec une fillette

Gabrielle est atteinte de dyspraxie motrice, aussi surnommée trouble développemental de la coordination (TDC) ou trouble d’acquisition de la coordination (TAC). Cette jeune trentenaire, qui cumule plus d’une dizaine d’années d’expérience en animation et en soin auprès des enfants, travaille aujourd’hui en tant qu’éducatrice dans une école primaire de Sherbrooke.

Depuis peu, Gabrielle a effectué un retour aux études, à temps partiel, dans un programme d’études (AEP) en service de garde en milieu scolaire (plus d’info ici). Cela lui permettra d’avoir plus d’outils pour intervenir auprès des enfants, ainsi que davantage d’opportunités de postes.

Gabrielle a bien voulu me parler de son parcours, de son handicap et de son expérience sur le marché de l’emploi. Par son témoignage, Gabrielle souhaite devenir un modèle inspirant pour les jeunes dyspraxiques d’aujourd’hui. Selon elle, «il y a trop de parents qui se font dire : “ton enfant arrivera à rien.”»

«J’ai eu tellement de témoignages positifs de gens pour qui ça a aidé que je raconte mon parcours, que maintenant ça me fait plaisir de le faire» s’exclame Gabrielle avec enthousiasme.

Ce texte se veut une occasion de découvrir la dyspraxie motrice et les manières de vivre, au travail notamment, avec ce handicap.

Mais avant tout, qu’est-ce que la dyspraxie motrice?

La dyspraxie est un trouble de la motricité

Le préfixe «dys-» exprime l’idée de difficulté, de trouble, de quelque chose qui fonctionne mal, tandis que «praxie» renvoie à un geste appris ou à une séquence de comportements moteurs. La dyspraxie motrice, à ne pas confondre avec la dyspraxie verbale, se définit donc comme une difficulté cognitive à coordonner les mouvements du corps.

La dyspraxie n’est pas une maladie. Il s’agit plutôt d’une atteinte neurologique permanente, généralement présente dès la naissance. Les dyspraxiques sont «neuro-atypiques», c’est-à-dire que leur cerveau fonctionne tout simplement différemment la moyenne des gens (les «neurotypiques»). Aucune médication ne peut traiter la dyspraxie.

«Le lien entre le cerveau et le corps se fait tout croche. Le cerveau sait très bien ce qu’il veut faire, mais c’est dans l’envoi du message que ça se perd», résume Gabrielle.

Plus précisément, le trouble développemental de la coordination (TDC), soit la dyspraxie motrice, c’est :

«un trouble développemental qui affecte le contrôle, la coordination et la planification d’un geste moteur. L’enfant qui en souffre se voit donc incapable de réaliser une séquence de gestes de façon harmonieuse et efficace.»

-Définition du Centre d’évaluation neuropsychologique et d’orientation pédagogique
Un garçon verse du sable sur sa main gauche à l'aide de sa main droite.

Avoir l’impression de lutter contre soi-même

Chaque fois qu’un geste doit être effectué, comme attacher des lacets, se brosser les dents, manier un crayon, monter des escaliers, c’est comme si ce geste était tout à fait nouveau et qu’il devait être réappris. Il n’est jamais spontané.

Certains dyspraxiques ont surtout de la difficulté à réaliser un geste ou un mouvement avec des objets (utiliser des ustensiles, écrire, dessiner), d’autres rencontrent davantage de problèmes à mimer une action (reproduire des pas de danse), à faire des signes de la main (dire bonjour) ou à organiser et planifier leur horaire du temps.

Les personnes dyspraxiques confondent bien souvent l’avant avec l’arrière, la gauche avec la droite, ce qui amène souvent leurs gestes à être saccadés. Conséquemment, toute action demande effort et concentration. Les personnes dyspraxiques se fatiguent généralement plus rapidement que la moyenne des gens.

Il n’est donc pas rare que les enfants dyspraxiques soient qualifiés par leur entourage, ainsi qu’à l’école, d’enfants maladroits. L’exemple de Gabrielle parle de lui-même :

«Jusqu'en 2e année du primaire, on ne savait pas ce que j'avais. Une de mes profs notait des problèmes de coordination oeil-main. C'était assez vague. Par exemple, quand je courais, il arrivait souvent que mes jambes se croisent et que je tombe.

En première année, ça a été un calvaire. La prof me refaisait sans cesse refaire mes lignes parce que c'était jamais bien écrit à son goût. J'avais beau m'appliquer, c'était jamais assez beau pour elle. Une fois, je suis sorti de la classe, en colère, et j'ai crié : “moi, quand je vais être plus grande, je vais être une prof vraiment gentille.”»
-Gabrielle

Les routines du quotidien constituent elles aussi des obstacles que doivent surmonter les personnes atteintes de dyspraxie:

«Une routine, si je l’apprends dans un contexte, ça fonctionne. Déplace la même routine dans un autre contexte, il faut que je réapprenne. L’exemple que je donne le plus souvent c’est celle de la poignée de porte, que j’ai vraiment vécue pour vrai! Par exemple, tu arrives devant une porte et pour l’ouvrir tu dois tourner la poignée à droite. Parfait, je suis capable d’ouvrir cette porte. Mais là j’arrive devant une autre porte. Je vais me réessayer de la même manière que je connais. À ce moment, il va vraiment falloir que je m’arrête quelques instants pour me dire : “Ah ça ne fonctionne pas. Mmmm attends! Comment est-ce que je pourrais faire pour ouvrir la porte?” Il faut que j’analyse, que je me replace, que je resitue, que je réessaie autre chose.»

Le handicap, source d’intimidation

On s’en doute bien, les enfants dyspraxiques, en raison de leurs différences, sont plus susceptibles d’être victimes d’intimidation à l’école. C’est ce qu’a d’ailleurs vécu Gabrielle au courant de sa scolarité primaire, allant jusqu’à lui provoquer un état de stress post-traumatique lorsqu’elle était en 6e année. Pour remédier à la situation, on a dû prendre les grands moyens et la changer d’école.

D’une manière surprenante, cette expérience néfaste et traumatisante insuffle alors en Gabrielle le désir d’aider les élèves qui vivent de l’isolement.

Fraîchement arrivée dans sa nouvelle école, celle-ci prend l’initiative de développer et d’animer un projet pour que les élèves ayant des difficultés d’intégration puissent, à travers les jeux, développer des liens d’amitié entre eux. Victime de son succès, Gabrielle a appris, plusieurs années plus tard, que son projet fut renouvelé au courant des années suivantes.

Une femme habillé d'un pull orange et de jeans regarde l'horizon. Derrière elle, il y a la mer et un ciel bleu et parsemé de nuages.

Diagnostic : des pronostics souvent négatifs dès l’enfance

C’est au primaire, à l’âge de 8 ans, que Gabrielle fut diagnostiquée comme étant dyspraxique. Une sorte de coup de dés, puisque la dyspraxie était encore assez méconnue au Québec au courant des années 1990. En effet, c’est le mari de son enseignante de 2e année, alors directeur d’école, qui évoqua la possibilité que Gabrielle soit atteinte de dyspraxie. En plein dans le mille!

Gabrielle aurait été parmi les premières personnes de l’Estrie à avoir été diagnostiquée de la dyspraxie. On lui a vite fait savoir, dès son diagnostic, qu’il ne fallait pas trop s’attendre à un grand avenir scolaire et professionnel.

«Les médecins ont dit à mes parents : “votre fille, si elle se rend en 2e secondaire, ce sera beau.” Ma mère a répondu : “ma fille elle va se rendre où elle va se rendre.”»

Contre toute attente, Gabrielle réussit à faire mentir les pronostics. Bien qu’elle ait doublé sa 5e année du primaire, le reste de son parcours scolaire se déroule bien et elle obtient son diplôme d’études secondaires.

Le soutien moral de ses parents fut déterminant dans son parcours scolaire. Ils ont toujours cru en son potentiel et à la possibilité qu’elle puisse vivre une vie «normale», en harmonie avec sa dyspraxie. Cette grande réussite scolaire doit aussi son succès aux nombreuses années d’intervention «rééducatives» et à la mise en place de mesures palliatives.

Rééducation et stratégies palliatives

Les particularités de la dyspraxie diffèrent d’un individu à l’autre. Les manifestations de la dyspraxie motrice à l’âge adulte dépendent en grande partie du travail de «rééducation» réalisé dans l’enfance et l’adolescence.

Suivie toute son enfance par le centre de réadaptation de l’Estrie, Gabrielle a pu mieux connaître et apprivoiser son handicap. Elle y a fait des apprentissages déterminants dans la réalisation de tâches du quotidien, lesquelles peuvent nous sembler banales, mais qui donnent du fil à retordre aux personnes dyspraxiques.

«En ergothérapie, j’ai appris les grandes étapes pour s’habiller. J’ai aussi appris à verser du jus sans faire des dégâts partout», raconte Gabrielle en riant.

Lors de ses études secondaires, étant donné la nature de son handicap, Gabrielle a pu bénéficier de mesures d’accommodement (ex.: utilisation d’un ordinateur en classe, horaire allégé) et du soutien continue d’une technicienne en éducation spécialisée (TES), laquelle pouvait par exemple l’aider lors de la prise de notes.

«Je faisais mes examens classe à part, car le fait de pouvoir lire mes questions à voix haute, ça m’aidait énormément.»

Verbaliser l’environnement et les séquences

Pour «mieux» fonctionner au quotidien, les enfants dyspraxiques sont généralement accompagnés dans l’apprentissage de stratégies de compensation, telles que la verbalisation et la séquentialisation. C’est ce qu’a appris à accomplir Gabrielle et qu’elle continue à faire encore aujourd’hui : «Pour refaire les liens dans mon cerveau, il faut que je parle. Nommer l’action, nommer ce que je fais, ça refait les liens dans ma tête.»

Gabrielle a appris à verbaliser et à décomposer son environnement visuel, les contextes et les actions qui doivent être réalisées, étape par étape. Cette stratégie de compensation permettrait, avec le temps, de développer une meilleure analyse visuelle ainsi que davantage d’aisance et de précision dans l’exécution des gestes.

Assis à un pupitre en classe, un garçon à la peau foncée effectue un exercice dans un cahier. Il porte des lunettes et un chandail vert. On voit plusieurs autres enfants dans la pièce s'appliquer à réaliser leur exercice.

Comment concilier la dyspraxie et le travail?

L’importance des routines

Les organismes spécialisés dans l’accompagnement d’adultes dyspraxiques recommandent qu’ils s’orientent vers des métiers où il est possible d’instaurer une certaine routine dans une journée de travail. Il s’agit d’un point central dans le développement professionnel de Gabrielle.

«Je dois apprendre les choses dans une routine. Une fois que la routine est acquise ça va vraiment bien, mais il faut l'acquérir. Aussi, j'ai une certaine rigidité au niveau des changements. Ça prend du temps et il faut désadapter.

Si je pense que c'est ça qu'on s'en va faire, c'est ça qu'on va faire dans ma tête. Changer de plan, je suis capable. Il faut juste que je me repositionne 30 secondes dans mes perceptions. Au début, ça me prenait du temps et de l'adaptation, mais maintenant je le fais tellement souvent que c'est intégré dans ma routine. C'est naturel.» -Gabrielle

L’ouverture de l’employeur

Sur le marché du travail, il importe que l’employeur soit bien informé des symptômes de la dyspraxie, afin qu’il puisse travailler de concert avec l’employé.e pour adapter son poste et mettre en place un système de communication au sein de l’équipe qui tient compte des particularités de la dyspraxie. Il est par exemple conseillé de remettre l’ordre du jour d’une rencontre au moins une heure à l’avance, pour aider les personnes atteintes de dyspraxie à mieux planifier et organiser mentalement à ce qui s’en vient.

Ainsi, l’une des clefs pour aider les adultes atteints de dyspraxie à se trouver un emploi et à s’y maintenir se trouve à être la connaissance de son handicap. La capacité à bien expliquer les particularités de son handicap, que ce soit à l’employeur ou aux collègues de travail, est essentielle à l’intégration professionnelle.

L’employeur actuel de Gabrielle démontre une grande ouverture à ce propos, ce qui a facilité son intégration:

«En ce moment, je suis vraiment à la bonne place. Ma responsable elle connaît mon handicap et elle me connaît bien. Lorsqu'elle a quelque chose à me dire, elle le fait avec beaucoup de bienveillance et elle m'accompagne là-dedans. À un moment donné, c'était de me dire “Oui je comprends que toi de faire une structure ça te sécurise, mais à un moment donné, les enfants ont aussi besoin d'autres choses.”» -Gabrielle

En pleine entrevue d’embauche, la directrice de l’école n’y est pas allée de main morte et lui a carrément dit : «Tu pourrais légalement ne pas travailler. Tu aurais toutes les raisons du monde de ne pas le faire. Mais tu choisis de le faire et de donner ce que tu peux à la société. Ça moi je vais encourager ça.» Ce fut la naissance d’un solide lien de confiance qui perdure encore à ce jour.

Le travail à temps partiel et les demi-journées

Vous vous souvenez de ce que je vous expliquais plus haut à propos du niveau constant d’effort et de concentration requis par les dyspraxiques pour réaliser des tâches et des routines du quotidien? Eh bien, à cause de cela les personnes atteintes de dyspraxie se fatiguent incroyablement rapidement.

En conséquence, pour la majorité des adultes dyspraxiques en état de travailler, c’est le travail à temps partiel qui est recommandé, du moins pour un certain temps avant de passer à du temps plein. Et plutôt que de faire des journées complètes, il est préférable de commencer par des demi-journées.

«J'ai souvent eu le commentaire “pourquoi tu ne travaillerais pas à temps plein?” Pour moi, c'est pas vrai que je vais scrapper ma santé. Je veux vivre comme tout le monde. Je veux avoir des passions et avoir de l'énergie pour les vivre.» -Gabrielle
Une professionnelle habillée en bleue prend des notes. Devant elle, on voit une femme en train de parler. Elle est assise sur un sofa.

Le rôle des organismes d’employabilité

Au cours de son parcours professionnel, Gabrielle a eu l’occasion de recevoir le soutien d’un organisme d’employabilité spécialisé dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap. À l’époque, cet organisme était connu sous le nom de Trav-Action, à Sherbrooke.

Grâce à cet organisme, Gabrielle a pu trouver un emploi en tant qu’aide-éducatrice dans un CPE. Et grâce à Trav-Action, elle a appris à mieux se présenter lors des entrevues d’embauche. Elle y a également appris l’existence et le fonctionnement de subventions salariales pour l’embauche de personnes en situation de handicap. Et lorsqu’elle était dans un poste d’éducatrice dans une garderie, l’organisme l’a aussi accompagné dans la résolution de problèmes en milieu de travail.

Effectivement, le parcours professionnel de Gabrielle n’a pas toujours été rose. Il lui est déjà arrivé de vivre de la discrimination à l’embauche, en raison de son handicap. Ou de travailler avec des employeurs qui ne considéraient pas suffisamment les limites de la dyspraxie dans la délimitation de son poste. Dans un emploi où elle se sentait écrasée par les responsabilités, Gabrielle raconte sa souffrance :

«Je ne me suis plus reconnu dans cet emploi-là. Je n'étais plus ce que j'étais. J'avais beaucoup trop de pression. Le stress, à ce moment-là, je ne le gérais pas bien. J'avais trop de pression que j'étais tellement pas bien que je perdais patience avec les enfants. J'ai jamais été comme ça. Je ne me reconnaissais plus.» -Gabrielle

Cette expérience de travail fut si négative pour Gabrielle qu’elle en vint à remettre en question sa capacité à travailler avec les enfants.

Pourtant, son parcours professionnel est rempli de «petites victoires», de propos de parents qui reconnaissent sa compétence et l’impact qu’elle peut avoir auprès de leurs enfants. Ce témoignage d’un parent est éloquent :

«“Ma fille, tu as vraiment créé un lien avec elle. Tu es vraiment à ta place avec les enfants. Tu as créé un lien avec ma fille, ma fille te fait confiance. C’est vraiment important ce que tu as créé avec elle.” Ça, ça vaut l’or. Je l’ai même écrit sur mon frigo pour m’en souvenir. Toutes les fois que je vais douter de moi, je vais relire ça.»

Heureusement, grâce au soutien de son employeur actuel, Gabrielle a pu graduellement reprendre confiance en elle. Très heureuse dans son poste d’éducatrice, dans cinq ans, Gabrielle se voit exactement à la même place qu’aujourd’hui, même emploi, même école. Elle est fière de son rôle dans la communauté :

«On est invisibles. On fait des affaires qui sont par en dessous. On fait des choses qui sont très importantes et utiles, mais qui ne sont pas flash. On fait un travail de souris. Le reste ne pourrait pas se faire sans nous. Par exemple, je permets aux parents de travailler. Si je ne suis pas là le soir pour le service de gardes.» -Gabrielle

J’espère que cet article de blogue vous a plu et qu’il vous a permis d’en apprendre davantage sur la dyspraxie. Au cours des prochains mois, j’ajouterai une section complémentaire portant sur des ressources professionnelles et scientifiques à lire pour en savoir encore plus sur la dyspraxie.

Un gros merci à Gabrielle, qui a été plus que généreuse dans l’entrevue qu’elle m’a accordée. N’hésitez pas à lui écrire un mot en commentaire!